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Daniil Trifonov / Dario Acosta & Deutsche Grammophon

Daniil Trifonov, Sergei Babayan

Programme

Sergei Rachmaninov (1873 – 1943) 
Suite pour deux pianos n° 1 en sol mineur, op. 5  

  1. Barcarolle - Allegretto  

2. Oh Night, Oh Love - Adagio sostenuto  

3. Tears - Largo di molto 

4. Easter - Allegro maestoso  

Suite pour deux pianos n° 2 en do majeur, op. 17 

  1. Introduction - Alla marcia  

2. Waltz - Presto  

3. Romance - Andantino  

4. Tarantella - Presto  

--- PAUSE --- 

Danses symphoniques, op. 45 (arr. pour deux pianos) 

1. Non Allegro  

2. Andante con moto. Tempo di Valse  

3. Lento assai - Allegro vivace  
 

FIN DU CONCERT : ± 22:30 

Commentaire

En 2023, nous célébrons le 150e anniversaire du virtuose russe du piano Sergueï Rachmaninov (1873-1943). Au cours de son impressionnante carrière, il a acquis une renommée internationale et effectué des tournées dans le monde entier, bien que ses compositions soient toujours restées enracinées dans la tradition russe. En outre, il est l’un des rares artistes à avoir atteint la notoriété dans trois dimensions : il a obtenu un succès mondial comme compositeur, chef d’orchestre et pianiste. Dans les dernières années de sa carrière, ses succès de pianiste ont peut-être quelque peu éclipsé ses mérites de compositeur, mais parmi les pianistes, sa musique est toujours restée très appréciée, comme le prouvent dans ce concert le pianiste arméno-américain Sergei Babayan et son élève russe Daniil Trifonov.

Suite pour deux pianos n° 1 en sol mineur, op. 5  (1893)

La première Suite pour deux pianos est une création relativement précoce dans l’œuvre de Rachmaninov. Il avait à peine 20 ans lorsqu’il l’a composée et venait d’obtenir son diplôme du Conservatoire de Moscou. Rachmaninov a dédié cette composition à Piotr Tchaïkovski, qu’il admirait énormément, mais qui n’a malheureusement jamais pu l’entendre, car il est décédé un mois avant sa création. L’admiration de Rachmaninov pour Tchaïkovski et pour d’autres inspirateurs transparaît également dans cette œuvre : nous entendons un compositeur prometteur qui a beaucoup appris de ses idoles, mais qui cherche encore sa propre voix.

Contrairement à ce que l’on attend d’une suite, cette pièce de Rachmaninov n’est pas composée de danses, mais chacun de ses quatre mouvements est basé sur un poème. Trois d’entre eux sont l’œuvre de poètes romantiques russes, Mikhaïl Lermontov, Fiodor Tiouttchev et Alexeï Khomyakov ( respectivement les mouvements 1, 3 et 4), et  le dernier a été écrit par le poète anglais Lord Byron. Dans le premier mouvement, inspiré d’un poème évoquant un gondolier mélancolique, Rachmaninov associe une mélodie lyrique à des accompagnements colorés qui explorent les diverses possibilités sonores du piano. La deuxième partie dépeint un paysage sonore dans un silence nocturne : au début, un piano évoque le chant d’un rossignol, tandis que l’autre imite le murmure de l’eau et du vent.

Dans les deux derniers mouvements, les racines russes de la pensée musicale de Rachmaninov se révèlent clairement. L’un et l’autre sont inspirés par les cloches d’église, qui jouent un rôle cérémoniel et spirituel important dans la liturgie orthodoxe russe. Ainsi, dans le troisième mouvement, Rachmaninov a immédiatement associé les larmes du poème de Tiouttchev à un motif de quatre notes descendantes dérivées des quatre cloches de la cathédrale Sophia de Novgorod, qu’il fréquentait avec sa grand-mère dans sa jeunesse. A l’instar de larmes qui coulent doucement, ce motif résonne tout au long de l’œuvre. Enfin, dans le dernier mouvement intitulé "Pâques", un piano imite le son joyeux de clochettes et l’autre le carillon profond des cloches qui répandent la bonne nouvelle.

Suite pour deux pianos n° 2 en do majeur, op. 17 (1901)

Lorsque Rachmaninov écrit la deuxième suite huit ans seulement après la première, son statut a déjà considérablement changé. Entre-temps, il a fait ses premiers pas de chef d’orchestre à l’opéra de Moscou et a remporté son premier succès international de pianiste à Londres. En tant que compositeur, il connaît des années plus difficiles : sa première symphonie est très mal accueillie en 1897 et il ne produit plus de nouvelles œuvres pendant un certain temps. Cette suite, cependant, lui permet de surmonter cette crise artistique. Il écrit cette œuvre à la même époque que son célèbre deuxième concerto pour piano, au cours duquel il commence à développer son propre idiome stylistique. Détail frappant : à l’instar de Daniil Trifonov et Sergei Babayan, élève et maître qui interpréteront cette œuvre à Flagey, Rachmaninov s’est fait accompagner pour la première de cette suite par son ancien professeur (et cousin) Aleksandr Ziloti.

Pour sa deuxième suite, Rachmaninov répond aux attentes de son public : il s’agit d’une suite de danses ou, dans ce cas, de pièces de caractère. Le premier mouvement est une introduction enjouée "alla marcia" ("comme une marche"), qui évoque les premiers mouvements des concertos de Bach par son rythme vif et continu. Rachmaninov qualifie lui-même le deuxième mouvement de valse, mais au lieu de la paisible mesure à 3/4 à laquelle on pourrait s’attendre, il nous offre un morceau de virtuosité rapide et frais. Le troisième mouvement, une romance, est le plus caractéristique du style de Rachmaninov à cette époque : une mélodie lyrique se voit accorder tout l’espace nécessaire pour se déployer et évoluer vers un point culminant. Le dernier mouvement est une tarentelle, une danse italienne énergique sur un rythme 6/8 très rapide, dans laquelle la virtuosité est poussée à son paroxysme.

Danses symphoniques, op. 45 (arr. pour deux pianos) (1940)

Les Danses symphoniques sont la dernière composition d’envergure de Rachmaninov, dans laquelle il jette un regard nostalgique sur sa vie. En effet, depuis la composition des deux suites, il a traversé une période très mouvementée, avec des succès et des échecs. Les troubles politiques l’ont contraint à quitter la Russie en 1918 pour s’installer à New York. Il retourne régulièrement en Europe jusqu’en 1939, mais l’imminence de la Seconde Guerre mondiale l’incite finalement à s’installer définitivement aux États-Unis. Pendant ces années, Rachmaninov est principalement actif en tant que chef d’orchestre et pianiste - en partie à cause de contraintes financières - ce qui signifie qu’il n’a pu achever que six compositions après 1917. Ces dernières années lui ont valu d’entrer dans l’histoire en tant que virtuose du piano.

Pourtant, ces Danses symphoniques montrent que le compositeur Rachmaninov a continué à se développer stylistiquement. Bien que le titre suggère qu’il s’agit de "danses", il ne se réfère guère à des formes de danse existantes. La seule exception est le deuxième mouvement "en tempo de valse". Ici, nous entendons effectivement des bribes de valses, bien qu’il ne s’agisse pas d’élégantes valses viennoises comme celles de Johann Strauss II, mais plutôt de celles de La Valse de Maurice Ravel : les valses sont constamment interrompues, sont presque grotesques et caricaturales, mais elles n’en gagnent que plus de couleur et de tempérament.

Dans les premier et troisième mouvements, plus rapides, nous trouvons une vitalité rythmique typique des dernières années de Rachmaninov qu’il partage avec son compatriote Sergei Prokofiev. En même temps, ces deux mouvements sont empreints de nostalgie : dans le premier mouvement, Rachmaninov cite une version déformée du thème d’ouverture de sa Première Symphonie, cette fois non pas en mineur, mais en majeur. À la fin du troisième mouvement, nous retrouvons des citations de chants religieux : le Dies Irae, la célèbre mélodie grégorienne de la messe des morts médiévale que Rachmaninov citait souvent, et une mélodie orthodoxe russe chantée à la veillée de la résurrection du Christ. Cette dernière mélodie finit par prendre le dessus, permettant à ce mouvement de symboliser la victoire de Dieu sur la mort. Cependant, les citations apparaissent au moins aussi nostalgiques que religieuses. Enfant, Rachmaninov était déjà fasciné par les hymnes religieux qu’il jouait au piano chaque fois qu’il rentrait d’une visite à l’église avec sa grand-mère. Ainsi, tout comme l’univers sonore des cloches des églises russes, ces chants religieux sont profondément ancrés dans l’identité musicale de Rachmaninov.

Robbe Beheydt

Biographie : Daniil Trifonov

Daniil Trifonov (1991°) 

Le pianiste russe Daniil Trifonov - lauréat du Prix de l’Artiste de l’année 2019 de Musical America - s’est révélé de manière spectaculaire dans le monde de la musique classique en tant que soliste, chambriste, accompagnateur et compositeur. La combinaison d’une excellente technique, d’une sensibilité et d’une profondeur rares fait des performances de Trifonov une expérience unique à chaque fois. "Il a tout et plus encore... la tendresse et aussi l’élément démoniaque. Je n’avais jamais rien entendu de tel auparavant", a déclaré la pianiste Martha Argerich lorsqu’elle l’a entendu pour la première fois.  

Trifonov est né à Nijni Novgorod en 1991 et a reçu ses premières leçons de piano à l’âge de cinq ans. Il a ensuite fréquenté l’école de musique Gnessin à Moscou en tant qu’élève de Tatyana Zelikman et a poursuivi ses études de piano avec Sergei Babayan au Cleveland Institute of Music.  

Le pianiste russe a remporté un premier Grammy Award en 2019, complétant une série déjà considérable de récompenses et de prix. En 2018, il a remporté le prix du "Best Instrumental Solo Album" pour Transcendental, une collection d’albums avec la musique de Liszt chez Deutsche Grammophon. Comme le souligne le Times of London, il est "sans aucun doute le pianiste le plus étonnant d’aujourd’hui". Au cours de la saison 2010-2011, Trifonov a remporté des prix à trois des plus prestigieux concours de piano : le troisième prix du concours Chopin à Varsovie, le premier prix du concours Rubinstein à Tel-Aviv et le premier prix et grand prix du concours Tchaïkovski à Moscou. En 2013, il a reçu le prestigieux Prix Franco Abbiati du meilleur soliste instrumental décerné par la critique musicale italienne et en 2016, il a été nommé "Artiste de l’année" du Gramophone.  

Trifonov a reçu le prix de l’instrumentaliste de l’année/piano 2021 d’Opus Klassik pour Silver Age, un album de musique russe pour piano solo et orchestre avec les œuvres de Scriabine, Prokofiev et Stravinsky. Sorti à l’automne 2020, cet album fait suite à Destination Rachmaninov : Arrival, sorti en 2019, pour lequel le pianiste a été nommé aux Grammy Awards en 2021. 

Biographie : Sergei Babayan

Sergei Babayan (1961°) 

Né dans une famille de musiciens en Arménie, Sergei Babayan reçoit ses premières leçons de piano à l’âge de six ans de Luiza Markaryan, puis du pianiste Georgy Saradjev, l’un des principaux représentants de l’école de Saint-Pétersbourg et ancien élève du légendaire Vladimir Sofronitsky. Babayan a ensuite étudié avec Lev Naumov, Vera Gornostayeva et Mikhail Pletnev au Conservatoire de Moscou. Lors de la chute de l’Union soviétique à la fin des années 1980, il est devenu le premier artiste de l’URSS à participer à des concours internationaux sans le soutien de l’État. 

Babayan a percé en 1989 en remportant une série de concours, faisant la une des journaux et suscitant l’intérêt d’autres artistes en remportant le concours international de piano Robert Casadesus (devenu depuis le concours international de piano de Cleveland), le concours international de piano de Hamamatsu au Japon et le concours international de piano d’Écosse. Après s’être installé aux États-Unis, il a rejoint le Cleveland Institute of Music en 1992 en tant qu’artiste en résidence. Très sollicité depuis, il s’est produit dans des salles aussi prestigieuses que le Carnegie Hall, le Wigmore Hall, le Théâtre des Champs-Élysées, le Konzerthaus Berlin et le Prinzregententheater de Munich, et a participé aux festivals de Salzbourg, Verbier et La Roque d’Anthéron. Il a travaillé avec de nombreux chefs d’orchestre de renommée mondiale, parmi lesquels Valery Gergiev, Neeme Järvi, Rafael Payare, David Robertson, Tugan Sokhiev, Gábor Takács-Nagy, Yuri Temirkanov, Joshua Weilerstein et Nikolaj Znaider. 

Sergei Babayan est un artiste exclusif de Deutsche Grammophon ; son dernier enregistrement Rachmaninoff (2020) a été salué par la presse internationale comme un enregistrement révolutionnaire. Son précédent enregistrement de ses propres transcriptions pour deux pianos d’œuvres de Sergei Prokofiev, avec Martha Argerich (Prokofiev for Two, DG 2018), a été salué par les critiques comme "le CD que l’on attendait" (Le Devoir).