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Helene Grimaud / Mat Hennek

Hélène Grimaud

Programme

Ludwig van Beethoven (1770–1827)
 

Sonate pour piano n° 30 en mi majeur, op. 109 (1820)

  1. Vivace ma non troppo, sempre legato – Adagio espressivo

  2. Prestissimo
  3. Gesangvoll, mit innigster Empfindung – Andante molto cantabile ed espressivo

Johannes Brahms (1833–1897)
 

Trois Intermezzi pour piano, op. 117 (1892)

n° 1 : Andante moderato – Più adagio – Un poco più andante

n° 2 : Andante non troppo e con molto espressione – Più adagio

n° 3 : Andante con moto – Più moto ed espressione – Tempo I – Più lento

--- PAUSE ---

Johannes Brahms (1833–1897)
 

Les Fantaisies, op. 116

  1. Capriccio. Presto energico
  2. Intermezzo. Andante
  3. Capriccio. Allegro passionato
  4. Intermezzo. Adagio
  5. Intermezzo. Andante con grazia ed intimissimo sentimento
  6. Intermezzo. Andantino teneramente
  7. Capriccio. Allegro agitato
Johann Sebastian Bach (1685–1750)
 

De Partita pour violon n° 2 in en ré mineur BWV 1004 :

 5. Ciaconna (arr. Ferruccio Busoni) (1717-1720)

 

FIN DU CONCERT : ± 22:05

Biographie : Hélène Grimaud

Hélène Grimaud n’est pas seulement une pianiste passionnée qui joue de son instrument avec une grande poésie et une technique impeccable, elle s’est également révélée une grande avocate de la protection de la nature, une fervente militante des droits de l’homme et une femme de lettres talentueuse.

Née à Aix-en-Provence en 1969, elle se forme avec Jacqueline Courtin au conservatoire local puis à Marseille avec Pierre Barbizet. Elle est admise au Conservatoire de Paris dès l’âge de treize ans et remporte le premier prix de piano trois ans plus tard, en 1985. Elle poursuit sa formation avec György Sándor et Leon Fleisher. En 1987, elle donne son premier récital à Tokyo et est invitée par Daniel Barenboïm à jouer avec l’Orchestre de Paris.

En 1999, elle fonde dans l’État de New York le Wolf Conservation Center(« Centre de protection des loups »). Mais l’engagement d’Hélène Grimaud ne s’arrête pas là : elle est également membre de Musicians for Human Rights, un réseau mondial de musiciens et de personnes travaillant dans le domaine musical qui s’attachent à promouvoir une culture des droits de l’homme et du changement social. Hélène Grimaud est également l’autrice de trois livres : Variations sauvages (2003), Leçons particulières (2005), et Retour à Salem en 2013.

C’est cependant avec ses interprétations musicales, où se mêlent une intense réflexion et une tendresse expressive, qu’elle touche le public au plus profond. Également chambriste ardente et passionnée, elle joue dans les grands centres musicaux et les festivals prestigieux avec les musiciens les plus divers : Sol Gabetta, Rolando Villazón, Jan Vogler, Truls Mørk, Clemens Hagen, Gidon Kremer, Gil Shaham, les frères Capuçon… Sa contribution prodigieuse au monde de la musique classique a été reconnue par le gouvernement français qui l’a faite chevalier de la Légion d’honneur.

La pianiste française enregistre en exclusivité pour Deutsche Grammophon depuis 2002 Dans son dernier disque, paru mars 2023, la pianiste part à la découverte de la musique vocale de Silvestrov avec le baryton Konstantin Krimmel, avec lequel elle interprète des extraits du monumental cycle de mélodies Silent Songs, qui donne son titre à l’album.

Commentaire

Les trois grands B – Bach, Beethoven et Brahms – représentent le cœur du canon classique occidental. Bien qu'ils soient des références incontestables de leur période musicale –respectivement baroque, classique et romantique –, ils se situent tous les trois à un moment charnière de l'histoire de la musique et repoussent les limites du langage musical qui caractérise leur époque. Chacun à leur manière, ils ont puisé leurs enseignements dans tout ce qui les a précédés et ont ouvert la voie à la musique des générations suivantes, sans pour autant perdre leur individualité.

Johann Sebastian Bach, de Partita pour violon n° 2 in en ré mineur BWV 1004 : 5. Ciaconna (arr. Ferruccio Busoni)

Bien que Jean-Sébastien Bach (1685-1750) soit aujourd'hui considéré comme un monument de l'histoire de la musique et un point culminant de la période baroque, en son temps, sa musique était plutôt qualifiée de singulière. Alors que d'autres compositeurs (principalement italiens) ont fait fureur avec leur style dit "galant", dans lequel la mélodie simple et chantante occupait une place centrale, la musique ingénieuse de Bach a été perçue comme "artificielle". Ce n'est que plus tard que des compositeurs tels que Beethoven et Mendelssohn, et par la suite le grand public, ont reconnu que Bach avait poussé le langage musical baroque à l'extrême, créant une œuvre novatrice à partir des formes existantes.


En 1720, Bach achève sa collection de sonates et de partitas pour violon, au moment même où il compose ses Suites pour violoncelle et ses Concertos brandebourgeois. Ces œuvres sont connues pour repousser les limites instrumentales, et il en va de même pour cette Chaconne de la Partita n° 2. Si Bach a utilisé la notation italienne "Ciaconna", il s'est surtout inspiré de la tradition française de la chaconne, par exemple celle de Jean-Baptiste Lully. En effet, depuis ses études de jeunesse à Lüneburg, Bach s’est familiarisé avec les développements musicaux du reste de l'Europe grâce à ses contacts internationaux, comme en témoigne le choix de quatre danses françaises pour les autres parties de sa Partita : Allemande, Courante, Sarabande et Gigue.

À l'époque baroque, la chaconne était une forme musicale populaire, construite à partir d'une base harmonique répétée à plusieurs reprises, et sublimée par des variations mélodiques et des embellissements. Dans cette œuvre, Bach utilise différentes techniques pour transformer le violon en instrument polyphonique : il lui fait jouer des notes doubles ou même des accords de quatre notes, ou alterne rapidement les notes aiguës et les notes graves, créant ainsi l'apparence de deux voix. L'arrangement pour piano de Ferruccio Busoni reste fidèle à l'esprit de l'œuvre de Bach en permettant également au piano de jouer tous les arrêts en termes de technique et de timbres.

Ludwig van Beethoven - Sonate pour piano n° 30, op. 109

L'idée d'une "œuvre tardive" en tant que catégorie distincte dans la création d'un compositeur est apparue avec Ludwig van Beethoven (1770-1827). Son œuvre est généralement divisée en trois périodes : la première, au cours de laquelle il adopte le style classique viennois de Haydn et Mozart ; la période intermédiaire, marquée par sa surdité naissante et souvent qualifiée d'"héroïque" (cf. les Symphonies n° 3 et n° 5 par exemple) ; et la période tardive, caractérisée par une plus grande attention portée à la polyphonie et au contrepoint, à la fragmentation et à l'expérimentation formelle. Dans l'histoire de la musique, l'œuvre tardive est souvent présentée comme une anticipation des tendances futures, comme une musique qui n'a pas été comprise à son époque mais qui a été à l'origine des développements des générations suivantes.


La Sonate pour piano n° 30 de Beethoven a clairement sa place dans cette œuvre tardive. Les premières esquisses datent de la même période que celle de son Hammerklaviersonate (Sonate pour piano n° 29, op. 106) et de ses Bagatelles, op. 119, juste avant que Beethoven ne couronne son œuvre avec ses dernières œuvres (Missa Solemnis, Symphonie n° 9 et les derniers quatuors à cordes).

Cette sonate montre comment Beethoven a cherché à innover à partir des des conventions de genre. Nous avons bien les trois mouvements attendus, mais ceux-ci sont quelque peu déséquilibrés : les deux premiers mouvements sont particulièrement courts et se succèdent sans interruption, tandis que le troisième mouvement est plus long que les deux précédents réunis. La première partie n'est pas une forme sonate typique, caractérisée par un développement thématique, mais plutôt une alternance de deux types de sonorités : une mélodie vive mais feutrée qui fait avancer la musique, et des passages plus lents et plus forts où la musique s'arrête sur des harmonies souvent surprenantes. Le deuxième mouvement est en effet structuré comme une forme sonate : deux thèmes sont successivement présentés, développés et enfin repris. Cependant, le contraste habituel entre les deux thèmes est minimal et la musique se déroule à un rythme rapide, de sorte que ce mouvement reste lui aussi une miniature ouverte plutôt qu'un tout achevé.

À l'instar de la Chaconne de Bach, le troisième mouvement est une série de variations, ce qui est tout aussi peu conventionnel pour une sonate pour piano. Dans ce thème à six variations, Beethoven résume les caractéristiques de son style tardif. Le thème et la première variation, une valse sensible, témoignent d'une profonde expressivité mélodique. Dans les variations 2 à 5, Beethoven attire à son tour l'attention sur le contrepoint, c'est-à-dire sur la manière dont les différentes lignes s'entrecroisent. La troisième variation est même une sorte d'invention à deux voix comme on en trouve chez Bach : la musique est répétée encore et encore, mais au cours du processus, la voix supérieure et la voix inférieure sont échangées. La sixième variation, quant à elle, est plutôt tournée vers l'avenir : des trilles émergent de notes répétées de plus en plus rapidement, de sorte que ce n'est plus la mélodie, mais le son pur qui domine. À la toute fin, le thème revient dans sa forme originale, mais en regard des nombreuses possibilités que Beethoven a ouvertes entre-temps, il apparaît davantage comme un rappel que comme une conclusion.

Johannes Brahms - Trois Intermezzi, op. 117 & Sept Fantaisies, op. 116

Bien que Johannes Brahms (1833-1897) ait été lui-même un pianiste talentueux, il a composé peu d'œuvres solistes pour son instrument fétiche. Son œuvre pour piano est généralement divisée en trois phases : les premières sonates pour piano ; une période intermédiaire caractérisée par des séries de variations ; et l'œuvre tardive, avec des compositions essentiellement courtes dans la tradition romantique de la pièce lyrique pour clavier. C'est dans cette dernière phase que Brahms se débarrasse de son image de compositeur "conservateur" (par opposition à ses contemporains "progressistes" Liszt et Wagner). Ainsi, grâce à sa souplesse harmonique, sa déstabilisation rythmique et sa compression des motifs, Brahms deviendra une grande source d'inspiration pour les compositeurs novateurs des générations suivantes.


C'est à cette dernière phase qu'appartiennent les recueils Trois Intermezzi et Sept Fantaisies. Il est remarquable que Brahms ne donne que deux titres différents pour caractériser ces dix pièces : "intermezzo" (les Trois Intermezzi et quatre des Sept Fantaisies) pour les mouvements lents à la mélodie lyrique et "capriccio" (trois des Sept Fantaisies) pour les mouvements rapides et endiablés. Malgré ce contraste de caractère, tous les mouvements sont construits selon un schéma clair de forme en trois parties (A-B-A'). En ce qui concerne les capriccios, on perçoit l'ingéniosité rythmique du Brahms tardif : il utilise toutes sortes de techniques pour perturber le rythme, puis le rétablir de manière inattendue, comme l'a fait Beethoven dans certaines œuvres. Par exemple, au début de la première des Sept Fantaisies, Brahms met souvent l'accent sur le troisième des trois temps par mesure au lieu du premier, de sorte que le mètre échappe constamment à l'auditeur. Les Intermezzi, en revanche, excellent dans l'utilisation parcimonieuse des motifs, sans que la musique ne perde sa puissance mélodique. Le deuxième des Trois Intermezzi en est un exemple : tout y est tellement dérivé du motif initial qu'il n'y a presque plus de distinction entre la mélodie et l'accompagnement et que tout se fond dans un ensemble organique.

Robbe Beheydt