"If you are lucky enough to have lived in Paris as a young man, then wherever you go for the rest of your life, it stays with you, for Paris is a moveable feast."
— Ernest Hemingway (1950)
Les années 1920 ont dû être une période extraordinaire dans une ville de Paris en pleine effervescence. L'écrivain américain Ernest Hemingway (1899-1961) décrit cette période en détail dans ses récits personnels, ses observations et ses récits. Il a vécu de près l'atmosphère exubérante qui régnait dans la capitale française après la Première Guerre mondiale. Après sa mort, sa femme, Mary Hemingway, a rassemblé ces souvenirs dans A Moveable Feast.
L'enthousiasme d'Hemingway est si contagieux qu'il continue d'inspirer des cinéastes, des écrivains et des metteurs en scène. Il inspire également les musiciens, comme dans le nouveau projet du pianiste Leif Ove Andsnes et des musiciens du Mahler Chamber Orchestra.
Après des projets développés autour de Beethoven et Mozart, ils se concentrent maintenant sur des compositeurs qui, comme Hemingway, se sont rendus à Paris dans les années 1920 à la recherche de leur propre voix musicale, de l'inspiration et du succès. Le programme comprend des œuvres du compositeur russe Igor Stravinsky, du Brésilien Heitor Villa-Lobos et des Français Francis Poulenc et Louis Vierne.
La porte d'un nouveau départ
Les années 1920 ont été celles d’un profond bouleversement stylistique pour Igor Stravinsky (1882-1971). Après les ballets expressionnistes L'oiseau de feu (1910), Petrouchka (1911) et Le sacre du printemps (1913), écrits dans le style nationaliste russe de ses débuts, le ballet Pulcinella (1920) initie sa phase néoclassique.
Bien que Stravinsky n'ait pas abandonné ses harmonies modernistes, il a soudainement placé les formes et les structures des périodes baroque et classique au centre de sa musique. Contrairement aux œuvres précédentes, explosives et rythmiquement complexes, ce style néoclassique se caractérise par une transparence et un contrepoint baroque accentués. Pulcinella est sa première œuvre dans ce style.
Le Septuor (1953) pour clarinette, basson, cor, piano, violon, alto et violoncelle marque à la fois la fin de ce style et la transition vers la phase suivante, sérielle. Le premier mouvement est scintillant, parfois même humoristique, et fait office d'adieu au néoclassicisme. Stravinsky revient ici à la forme sonate classique, avec deux groupes thématiques contrastés. En même temps, le final du mouvement fait référence au baroque par l’utilisation d’une fugue, commencée par les cordes et les vents. Le plus marquant est le thème principal de la clarinette : sept notes (la, mi, ré, do, si, la, do#), d'où découle la quasi-totalité du matériel thématique et d'accompagnement de l'ensemble du Septuor.
Dans les deuxième et troisième mouvements, Stravinsky étend cette séquence à une série de seize notes, marquant ainsi son entrée définitive dans l'univers atonal de ses collègues autrichiens Arnold Schönberg (1874-1951), Alban Berg (1885-1935) et Anton Webern (1883-1945). Ce fut une surprise, car Stravinsky s’était jusqu’à alors exprimé négativement à propos de la musique de la Seconde école de Vienne. Le sérialisme est une technique de composition dans laquelle les éléments musicaux, tels que les hauteurs, les rythmes ou les dynamiques, sont disposés dans une séquence fixe et répétés systématiquement. Les tonalités traditionnelles disparaissent complètement.
Le deuxième mouvement, Passacaglia, introduit la série de seize notes dès les premières mesures, réparties entre les différents instruments. La séquence est répétée à travers sept variations, suivies d'une coda, ou huitième variation. Comme Schönberg, Stravinsky applique à la série des techniques telles que l'imitation, l'inversion (où les intervalles sont inversés), le rétrograde (où la mélodie est jouée à l'envers) et l'inversion du rétrograde. Le rythme solennel et les contours mélodiques de la séquence font écho à la monumentale Passacaille en do mineur, BWV 582 de Bach, pour orgue.
Le dernier mouvement, Gigue, se développe à partir de la même séquence de 16 notes. Ce mouvement rapide comprend quatre fugues : la première et la troisième sont jouées par les cordes, tandis que la deuxième et la quatrième sont des fugues doubles, dans lesquelles le pianiste et les instrumentistes à vent jouent des fugues séparées. Les deux accords qui clôturent le septuor créent l'illusion d'une cadence tonale, mais avec l'ajout de « fausses » notes délicieusement stimulantes.
Des échos brésiliens dans un monde sonore cosmopolite
Le compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959) appartient à une génération de compositeurs latino-américains qui ont puisé dans l'histoire et le folklore de leur pays pour développer leur propre style musical nationaliste. Son Quintette de 1928 pour flûte, hautbois, cor anglais, clarinette et basson (« em forma de Chôros ») en est un exemple.
À cette époque, il séjourne à Paris grâce à une bourse d'études. Pendant ces années françaises (1923-1930), il échange des idées avec des compositeurs et des artistes progressistes tels qu'Igor Stravinsky, Edgard Varèse et Darius Milhaud. Ces rencontres ont profondément influencé son style, mais sans jamais lui faire oublier ses racines brésiliennes qu’on retrouve même dans cette composition « parisienne ».
Le mot chôro du titre fait référence à un ensemble typiquement brésilien joués par des musiciens de rue rassemblant instruments à cordes (tels que la guitare, le cavaquinho et la mandoline), instruments à vent (tels que la flûte, la clarinette, l'ophicléide, le trombone et le saxophone) et percussions. La musique est caractérisée par la liberté et la diversité, avec de nombreuses improvisations et un type de contrepoint souvent dissonant.
Cette diversité se retrouve dans le quintette. Villa-Lobos intègre des rythmes et des mélodies brésiliens qui reviennent, des ostinatos et des dissonances marquées, dans une structure lâche de cinq sections qui s'enchaînent sans interruption. Les transitions sont clairement marquées par des changements radicaux de caractère et de tempo, mais même à l'intérieur des sections, la musique reste imprévisible.
On passe sans effort de l'expectative, avec des solos virtuoses et quasi-improvisés, à des passages tendres et lyriques. Mais à tout moment, l'ambiance peut basculer dans des rythmes puissants et des explosions enivrantes. Les échos et les fragments des passages précédents s'accumulent, menant à une dissonance de plus en plus poignante et à un cri final brûlant. Il s'agit en quelque sorte d'un clin d'œil au titre : en portugais, chôro signifie également « cri de détresse ».
La mascarade musicale de Poulenc
Le compositeur français Francis Poulenc (1899-1963) a parfois été qualifié de « clown musical de premier ordre ». Dans le Paris animé des années 1920, il faisait partie des Six, un collectif de compositeurs français dans lequel figuraient également Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Germaine Tailleferre.
Ils s'alignent sur les idéaux esthétiques du compositeur Erik Satie (1866-1925) et de l'écrivain Jean Cocteau (1889-1963). En quête d'un langage musical propre, ils s'inspirent de la vie nocturne parisienne : des cafés et cabarets, du jazz naissant et même du cirque. Ces influences se retrouvent également dans le Sextuor pour piano, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor de Poulenc, créé à Paris en juin 1931.
Dès les premières mesures du premier mouvement, Allegro Vivace, la musique semble légère et empreinte d’un esprit satirique. Poulenc utilise dans ce passage les rythmes pointés typiques du jazz. La musique est tour à tour entraînante et mélancolique, comme dans le passage médian en demi-teinte. De nombreux critiques reconnaissent ici, ainsi que dans certaines mélodies du dernier mouvement, une référence à My Melancholy Baby, une chanson populaire de 1912 d'Ernie Burnett.
Le deuxième mouvement lent, Divertissement : Andantino, est un clin d'œil ludique de Poulenc au genre du divertimento de la période classique. Dans les sections contrastées, tous les instruments ont droit à des moments de solo, l'ambiance passant progressivement du comique à une surprenante mélancolie.
Le contraste avec le dernier mouvement, Prestissimo, est saisissant. Dans ce final rapide, les influences du jazz entendues dans le premier mouvement reviennent, mais sous la forme d'une satire mordante du néoclassicisme de compositeurs tels qu'Igor Stravinsky. Poulenc reprend plusieurs thèmes des mouvements précédents et conclut son Sextuor par une coda étonnamment lyrique et solennelle.
Un requiem de colère et de deuil
Le compositeur français Louis Vierne (1870-1937) a étudié à Paris avec César Franck et Charles-Marie Widor. De 1900 à sa mort en 1937, il fut organiste en chef de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Son Quintette pour piano a été créé pendant la période la plus tragique de sa vie. Presque aveugle depuis l'enfance, Vierne passe la période de janvier 1916 à août 1918 dans un sanatorium de Lausanne, où il subit plusieurs opérations. Isolé dans l'obscurité, il apprend en 1917 que son fils et son frère René sont morts à la guerre.
En réaction, il commence à composer son Quintette pour piano, qu'il achève en 1918. Il l'a décrit comme un sacrifice pour donner forme à son chagrin :
« Parce que mon chagrin est terrible, je vais faire quelque chose de puissant, d'imposant et de fort, qui éveillera dans la poitrine de chaque père les sentiments d'amour les plus profonds pour un fils mort. Comme dernier de mon nom, je l'enterrerai dans un grondement de tonnerre - et non dans le bêlement plaintif d'un mouton résigné et béat. »
La musique du Quintette pour piano est une expression directe des émotions de Vierne. Dès l'introduction lente du premier mouvement, Poco lento - Moderato, son désespoir transparaît. À partir du Moderato, la musique se développe jusqu'à deux thèmes intenses et poignants. L'influence de son professeur César Franck est indéniable dans l’harmonie utilisée pour les accompagnements et dans les longues phrases mélodiques. La musique cherche constamment à atteindre des sommets grandioses, qui se dissolvent toujours dans des passages lyriques et mélancoliques.
Dans le mouvement central, Larghetto sostenuto, l'alto joue un rôle central. L'atmosphère est à la fois feutrée et chargée. Comme Franz Schubert (1797-1828) dans ses dernières sonates pour piano, Vierne exprime ici sa colère et son angoisse dans un passage central féroce. La musique explose brièvement, puis l'humeur nostalgique des premières mesures revient.
Le dernier mouvement, Allegro molto risoluto, s'ouvre sur une série d'accords durs et dissonants au piano, qui rappellent la polytonalité de Stravinsky. Ils symbolisent l'énergie agitée de Vierne, qui définit le caractère de l'ensemble du mouvement. La musique est tantôt retenue et menaçante, tantôt agitée et martiale - mais sans jamais devenir triomphante, même dans les imposantes mesures finales.
Dès ses premières exécutions, le Quintette avec piano a été cité parmi les quintettes avec piano français les plus importants de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, au même titre que ceux de César Franck et de Charles Koechlin. Les critiques ont immédiatement reconnu la maîtrise de Vierne : « Comment peut-on rester indifférent à une telle expression de génie ? »
Waldo Geuns