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une conversation avec Amaury Cornut | Celebrating Moondog

Il y a 25 ans, Moondog mourait. L’occasion idéale, pour Flagey, de célébrer l'œuvre de ce compositeur exceptionnel. Ce pionnier reste pour beaucoup un personnage mystérieux. Ce n'est pas le cas d'Amaury Cornut, spécialiste par excellence de Moondog, qui a publié sa biographie il y a 10 ans. Il donne des conférences et prodigue des conseils artistiques aux orchestres et aux musiciens.

Qu'est-ce qui vous fascine chez Moondog ? Qu'est-ce qui le rend unique à vos yeux ?

Moondog a été un pionnier dans l’art de métisser différentes musiques. Durant les années quarante, il a invité la musique tribale amérindienne dans sa fascination pour la musique classique européenne, en particulier Jean-Sébastien Bach. Sa mère était professeur d’orgue et son père un prêtre qui évangélisait des réserves indiennes. Il était également lié avec des grands noms de la scène du jazz des années 50 de New York tels que Charles Mingus et Charlie Parker. Sa musique rassemble des artistes provenant d’univers complètement différents. Il a rejeté en bloc toute la musique moderne, telles que les musiques sérielles et dodécaphoniques du 20ème siècle. La musique de Moondog est très tonale et mélodique.

De quelle manière a-t-il été influencé par les Amérindiens ? À quel point était-il proche d’eux ?

Enfant, il voyageait dans le Wyoming avec son père où ce dernier tentait d’évangéliser les Indiens. Au cours de ses visites, il a assisté à l’âge de six ans à une cérémonie de danse du soleil dans une tribu à Arapaho. Cela l’a particulièrement marqué. Le chef a invité Moondog à s’asseoir sur ses genoux et à jouer du tambour qui accompagnait le rituel. C’est cette pulsation vitale qui va vraiment inspirer son travail.

Il était l’ami d’ artistes de la scène jazz new-yorkaise qui l'ont fortement influencé. Les influences jazz dans la musique de Moondog s’expliquent-elles ainsi ?

Les amitiés et la dynamique scène jazz new-yorkaise ont en effet eu une influence majeure. Mais il y a également un lien avec la musique amérindienne. Selon Moondog, son rythme de tambour est à l'origine du swing des années 1920. Ce lien a également été vérifié d'un point de vue musicologique. Le jazz et le blues sont des musiques afro-américaines, et qui sont également des musiques métisses.

En même temps, Moondog partage des similitudes avec le minimalisme. Steve Reich et Philip Glass l'ont appelé le "père du minimalisme". Pourquoi ?

Le minimalisme est une réaction à la musique moderne et atonale du XXe siècle. Elle a notamment trouvé son origine chez Steve Reich, Philip Glass et Terry Riley. Ils souhaitaient un retour à des principes simples, tels que la pulsation et la tonalité, et écrivaient de petites mélodies courtes et répétées à l’envi. Dans leur musique, on peut entendre une influence de la musique médiévale européenne mais également des musiques extra-occidentales, notamment javanaise, nord-africaine et moyen-orientale.

Il se trouve que Moondog avait déjà assemblé tous ces composants de la musique minimaliste avant que le minimalisme débute officiellement en 1964 avec l'œuvre musicale In C de Terry Riley. Par ailleurs, Philip Glass et Moondog ont été colocataires à un moment donné, ces influences se sont donc manifestées spontanément.

Sa personnalité et sa vie sont également uniques. À New York, il était sans domicile fixe, vendait de la poésie aux passants et se promenait dans les rues habillé en viking avec un casque à cornes et une lance médiévale. Comment comprendre cela ?

Pour cela, il faut remonter dans le temps. À 16 ans, Moondog est devenu aveugle en ramassant une amorce de dynamite qui lui a explosé au visage. En perdant la vue, il a aussi perdu sa foi chrétienne. Au même moment, ses parents se séparent, ce qui n'est pas évident, surtout avec un père prêtre. Et tout cela, au moment de l’adolescence. Il est tombé dans une grande dépression. Il a alors commencé à s'habiller de manière excentrique. Il s'est laissé pousser la barbe et les cheveux.

Dans les années 1940, lorsqu’il est arrivé à New York, les gens le comparaient au Christ. Étant donné qu’il ne croyait plus en Dieu depuis qu’il avait perdu la vue, et en réaction à toutes ces comparaisons christiques, il a décidé de devenir viking et de s’habiller en conséquence. Il s’est plongé dans la mythologie nordique, qui a énormément nourri son travail poétique. C'est ainsi qu'il a reçu le surnom de "Viking of 6th Avenue". Il avait l'habitude de dire : "Je ne vis pas et ne m'habille pas ainsi pour attirer l'attention, j'attire l'attention parce que je vis et m'habille ainsi".

Moondog est devenu une icône dans les années 1950 et 1960 à New York, il était très visible dans les rues de New York où les photographes Diane Arbus et Annie Leibovitz l’ont photographié. En même temps, il est resté une figure marginale.

Il y a cinquante ans, Moondog a quitté les États-Unis pour l'Europe. Son travail en Europe a marqué le début de sa carrière de compositeur.

À New York, il comprend qu'il a poussé le curseur trop loin dans la marginalité et qu’il n’arrivera pas à percer dans le monde de la musique classique. En 1974 et grâce à un ami, il a l’opportunité de venir jouer à Francfort. Le fait de poser le pied à l’endroit où Jean-Sébastien Bach avait vécu  l'a fortement attiré et inspiré. C’est pour la musique classique européenne et surtout pour Bach que Moondog est resté en Europe. Mais lorsque ses amis sont rentrés des États-Unis, il s'est retrouvé seul et a de nouveau vécu dans les rues de Hambourg.

Il a traîné dans la forêt noire, et ensuite, s’est lié d'amitié avec des gens qui vont l'aider, et très vite tout va très bien se passer pour lui, il va s'installer, atteindre un confort de vie qui va lui permettre de continuer de travailler. Il noue une relation avec Ilona Sommer. Elle devient sa partenaire attentionnée et sa manager. Dès lors, il abandonne son casque à cornes, il commence prendre soin de son image.

Il est encore plus souvent programmé en Europe qu'aux Etats-Unis. A Flagey, François Mardirossian jouera des œuvres pour piano solo de Moondog. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

François a dédié son premier album à Moondog et est devenu un grand interprète de sa musique. Il va jouer de grandes pièces pour piano de Moondog enregistrées dans plusieurs albums tout au long de sa vie, depuis des années 1950, ainsi que des œuvres inédites que Moondog n’a pas eu le temps d'enregistrer lui-même.

En outre, le Brussels Philharmonic, sous la direction de George Jackson, interprétera l'album Moondog de 1969.

George Jackson est, à mon avis, le meilleur chef d'orchestre possible pour diriger la musique de Moondog. Il possède une vaste connaissance du répertoire classique, mais aussi une curiosité particulière pour la musique minimaliste dont il est expert. Cela est nécessaire car les orchestres peinent généralement à interpréter Moondog. À première vue, ses partitions semblent simples, mais leurs difficultés sont cachées.

Enfin, Ill Considered donnera une interprétation jazz d'une sélection de chansons. Que pensez-vous du programme ?

Des musiciens de jazz comme Ill Considered ont déjà improvisé autour des mélodies de Moondog, mais en théorie, cette musique ne laisse aucune place à l'improvisation. Elle est très stricte. Mais cela rend son œuvre plus accessible à un large public.

À Flagey, tout se côtoie, on vous propose une sorte de panorama assez vaste. On a à la fois un récital de piano qui présente les mélodies de Moondog telles quelles, un orchestre qui aborde  Moondog, ce qui est assez rare. Et enfin l'interprétation jazz qui montre comment les mélodies de Moondog ont été revisitées par des musiciens de jazz au fil du temps.

Et peut-être une dernière question. D'où vient le nom de Moondog ?

Il s'agit d'un hommage à un chien qu'il avait lorsqu'il était enfant, Lindy. Ce chien hurlait à la lune plus que n'importe quel autre. C'est devenu son nom indien, son pseudonyme. Il l'a ramené d’un voyage chez les Indiens à la fin des années 1940.

Propos recueillis par Hanna Karalic et Nine Louvel

Découvrez la vie et l'œuvre de Moondog à l'occasion de "Celebrating Moondog", le 29 novembre à Flagey. Le programme complet est disponible ici.