Quatuor Modigliani | 17.12.20 | Programme
Programme
Wolfgang Amadeus Mozart, Divertimento en fa majeur, K. 138
- Allegro
- Andante
- Presto
Mark-Anthony Turnage, Quatuor à cordes “Split Apart” *
- Œuvre en cinq mouvements
Pyotr Ilyich Tchaikovsky, Quatuor à cordes n° 3 en mi bémol majeur, op. 30**
- Andante sostenuto – Allegro moderato
- Allegretto vivo e scherzando
- Andante funebre e doloroso, ma con moto
- Finale: Allegro non troppo e risoluto
* Première belge, commandée conjointement par by Flagey, Centro National de Difusión Madrid, Concertgebouw Amsterdam, Staatstheater Darmstadt & Musikverein Wien
** album preview (2022, Mirare) - recorded at Flagey
Notes de programme
Les premiers pas du quatuor à cordes
À la faveur de cette soirée de concert, le Quatuor Modigliani nous propose de parcourir l’extraordinaire cheminement du quatuor à cordes depuis son émergence au début du XVIIIe siècle. À l’origine, les quatuors à cordes étaient destinés à des musiciens amateurs, dont les instruments se bornaient à accompagner un premier violon soliste. Les premiers quatuors à cordes de Joseph Haydn (ses Opus 1 et 2) en témoignent. Haydn les composa à l’intention de son ami le Baron Fürnberg qui invitait régulièrement chez lui le curé de sa paroisse, son gestionnaire de fortune, Haydn et le violoncelliste amateur Albrechtsberger pour jouer de la musique. À l’époque, les quatuors portaient encore souvent le nom de « divertimenti », illustrant le caractère léger de cet art. Mais en vingt ans, sous les doigts de Haydn, le genre allait se développer jusqu’à se hisser au firmament de la musique classique. Depuis 1761, le compositeur était au service de la grande famille Esterházy et son mécène, le Prince Nikolaus, appréciait particulièrement un style polyphonique où chaque voix aurait la même valeur. Cette passion a incité Haydn à écrire des quatuors plus complexes et plus sérieux que ceux qu’il destinait aux musiciens amateurs. En témoignent les six quatuors de son Opus 20 écrits en 1772, qui le portèrent au premier rang des compositeurs de quatuors à cordes classiques.
Divertimento
Le style du divertimento inspire clairement l’œuvre que le Quatuor Modigliani a choisie pour ouvrir son concert. Lorsque Mozart a publié son divertimento en 1772, il n’a pas pris connaissance des nombreuses innovations dont Haydn a émaillé, la même année, son fameux Opus 20. L’intitulé « Divertimento » ne va pas de soi, et en fait, nous ne savons toujours pas si la musique était destinée à un quatuor à cordes ou à un orchestre avec cordes. Son Divertimento comprend autant d’éléments caractéristiques du quatuor à cordes (une succession de mouvements rapide, lent, rapide) que du divertimento (où le premier violon joue le premier rôle dans le premier et troisième mouvement. Mozart a vraisemblablement composé cette œuvre en 1771 durant un voyage à Milan où il s’est imprégné de l‘opéra italien, à tel point que le lyrisme typiquement italien devient omniprésent dans sa musique.
Un hommage poignant
Lorsque Mozart découvre les quatuors à cordes de Haydn, en 1773, une saine émulation se développe entre les deux musiciens désireux de porter le genre à ses plus hauts sommets. Désormais, la réputation du quatuor à cordes est bien établie. Les romantiques du XIXe siècle en feront un des genres musicaux les plus populaires, tant ils ont le loisir d’y exprimer à la fois leur maîtrise technique et leurs sentiments les plus profonds. En témoigne, de manière poignante, le Troisième Quatuor à cordes que le compositeur russe Piotr Illitch Tchaïkovski écrit en 1876. L’œuvre rend hommage au violoniste défunt Ferdinand Laub. Laub était un ami proche de Tchaïkovski, professeur, tout comme lui, au Conservatoire de Moscou. Il avait créé les deux premiers quatuors à cordes de Tchaïkovski, de la même manière que, ce soir, le Quatuor Modigliani offre la première interprétation du « Split apart » de Turnage. Tchaïkovski considérait Laub comme « le meilleur violoniste de son temps ». Le quatuor s’ouvre sur un Andante sostenuto modeste, introduisant un Allegro moderato aux accents de « valse triste », exprimant le chagrin avec des accents parfois dramatiques. L’Allegretto vivo e scherzando qui lui succède évoque, avec son rythme de polka, les origines tchèques de Laub. Mais l’essentiel de l’hommage rendu par Tchaïkovski se trouve dans l’Andante funebre e doloroso, ma con moto, une marche funèbre. Le compositeur maîtrise parfaitement l’art d’écrire des mélodies bouleversantes, et il en sollicite tous les registres dans ce troisième mouvement. Le rôle prépondérant du premier violon est, bien entendu, un hommage au parcours de virtuose de Laub, et les passages d’une grande intensité lyrique alternent avec des moments d’une profonde intimité chorale et sacrale. Dans le dernier mouvement, Allegro non troppo e risoluto, Tchaïkovski renoue avec l’atmosphère dynamique et dansante du deuxième mouvement. Ainsi, cette œuvre impressionnante représente non seulement un hommage du compositeur à son ami cher, mais aussi une ode puissante à la vie.
La société sous la loupe
Une même force inspire le tout dernier quatuor à cordes « Spit Apart » que le compositeur britannique Mark-Antony Turnage a dédié au Quatuor Modigliani. Le quatuor trouve son inspiration dans le referendum qui a conduit au Brexit et reflète les émotions et l’incrédulité du compositeur à l’annonce de son résultat. Chacun des cinq mouvements évoque une émotion nouvelle. Dans le premier mouvement, Turnage exprime son incertitude, par des interventions en solo du premier violon et par de délicates techniques d’exécution, tels les pizzicatos et le col legno, où les cordes des instruments sont touchées par le bois de l’archet. L’excitation et l’inquiétude croissantes de Turnage habitent le deuxième mouvement, au travers d’un dialogue complexe entre des mélodies et des motifs qui s’entremêlent. Le troisième mouvement, plus rapide et parfois explosif conduit à un quatrième mouvement où la mélodie de l’Hymne à la Joie de la Neuvième Symphonie de Beethoven, hymne de l’Europe « se déchire en lambeaux », au travers d’une déformation et d’une fragmentation de la mélodie. Turnage clôture son quatuor par un finale court et intimiste symbolisant son découragement face à la situation dans laquelle sa patrie s’est engagée.
Cette toute dernière composition de Turnage, avec son style résolument contemporain et ses techniques d’exécution plus complexes nous démontre que, en traversant les siècles, le quatuor à cordes n’a rien perdu de son actualité et de son intensité. À l’origine simple divertissement, le quatuor à cordes a pris de l’ampleur pour devenir un genre musical où les compositeurs peuvent déployer leur virtuosité et, dès le XIXe siècle, exprimer leurs émotions les plus profondes. Au XXe et au XXe siècles, les compositeurs confèrent au quatuor à cordes une dimension supplémentaire : l’analyse d’une société et de ses questionnements. C’est ce que démontre Turnage, de manière vivifiante, dans sa dernière création, « Split apart ».
Waldo Geuns
Quatuor Modigliani
Formé en 2003, le Quatuor Modigliani s'est forgé une place parmi les quatuors les plus sollicités de notre époque, invité régulier des grands événements internationaux et de salles prestigieuses dans le monde entier.
Lors de la saison 2020/21, le quatuor effectuera des tournées en Allemagne en octobre 2020 et février 2021 avec des concerts programmés au festival SWR de Schwetzingen et à l'Elbphilharmonie de Hambourg, ainsi qu'une tournée aux États-Unis en mars 2021. En décembre 2020, le Quatuor Modigliani célèbrera la création mondiale du quatuor à cordes « Split Apart », que le compositeur britannique Mark Anthony Turnage lui a spécialement dédié. L'œuvre sera ensuite présentée au Staatstheater Darmstadt, au Musikverein Vienna, au Concertgebouw Amsterdam, à Flagey à Bruxelles et au Pollack Hall à Montréal.
En 2011 le Quatuor Modigliani crée le festival de musique de chambre de Saint-Paul de Vence et assure depuis 2014 la direction artistique des légendaires Rencontres Musicales d’Evian autrefois dirigées par Mstislav Rostropovitch. Depuis, le festival connaît un remarquable succès sous l’impulsion conjointe de l’Evian Resort et du Quatuor Modigliani et est redevenu l’un des festivals majeurs en Europe.
En 2020 le Quatuor Modigliani prend la direction artistique du Concours International de quatuors à cordes de Bordeaux et organise en mai 2020 une semaine de masterclasses, de rencontres et de concerts avec 4 jeunes quatuors européens en fin de formation ou récemment diplômés d'un Conservatoire National Supérieur et en cours de professionnalisation.
En 12 ans le Quatuor a enregistré et sorti déjà plus de dix disques sous le label Mirare, tous très remarqués et loués par la critique internationale, dont un recueil consacré à l'octuor de Schubert avec Sabine Meyer, sorti en avril 2020. Le prochain album prévu comprenant le Quatuor à cordes n°3 de Tchaïkovski et le Souvenir de Florence (avec Veronika et Clemens Hagen) sera enregistré à Flagey et sortira dans la saison 2021/2022.
Un an seulement après leur formation, les Modigliani s'étaient révélés à l'attention internationale en remportant successivement trois Premiers Prix aux Concours Internationaux d'Eindhoven (2004), Vittorio Rimbotti de Florence (2005) et aux prestigieuses Young Concert Artists Auditions de New York (2006). Après avoir reçu l'enseignement du Quatuor Ysaÿe, puis suivi les master-classes de Walter Levin et de György Kurtág, le Quatuor Modigliani est invité à travailler auprès du Quatuor Artemis à la Berlin Universitat der Künste.
Le quatuor soigne particulièrement les rencontres de musique de chambre, desquelles sont nées des amitiés fidèles comme avec Sabine Meyer, Renaud Capuçon, Jean-Frédéric Neuburger, Beatrice Rana, Michel Dalberto, Augustin Dumay, Henri Demarquette, Gary Hoffman, Paul Meyer, Michel Portal, Gérard Caussé, ou Daniel Müller-Schott…
Amaury Coeytaux joue un violon de Guadagnini de 1773
Loic Rio joue un violon de Guadagnini de 1780
Laurent Marfaing joue un alto de Mariani de 1660
François Kieffer joue un violoncelle de Matteo Goffriller "ex-Warburg" de 1706
Fort de près de quinze ans d'expérience, le quatuor se réjouit de prendre de nouvelles responsabilités à l’égard des générations suivantes : il crée en 2016 l’Atelier des Rencontres musicales d’Evian et donne depuis 2017 une série de masterclasses au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.